Pire, les réserves d’eau sont menacées. Tout le monde est d’accord, l’urgence est là. La salinité atteint les puits, déjà menacés par les pollutions diverses. Huiles de moteur, carburants, déjections humaines ou porcines, tout finit dans les maigres lentilles d’eau douce, qui deviennent imbuvables.
Il y a bien un réseau public de distribution, alimenté par deux réserves situées au bout de l’île. Son état est catastrophique, miné pr le manque de pression, les coupures, le piratage, les fuites et le manque de techniciens formés pour l’entretien. C’est là que John intervient. Mon ingénieur hydraulique de colocataire est employé par le KAP pour réparer les fuites. Travail de longue haleine, pour ne pas dire impossible. « Même si tout marchait bien, il n’y aurait pas assez d’eau pour tout le monde. C’est pire qu’en Afrique » estime John, qui a travaillé au Ghana. Le réseau fournit vingt litres par habitant et par jour. Il en faudrait cinquante au minimum selon les critères de l’Organisation Mondiale de la Santé.
De plus, comme les tuyaux sont pourris, la pollution des sols contamine l’eau du réseau. « Plus on s’éloigne du point de départ, moins elle est saine. Même en la faisant bouillir, elle n’est pas potable. Les métaux lourds restent. » Or les gens la boivent, la lu part n’ont pas le choix.
D’après un rapport des Nations Unies, la situation hydraulique est « désespérée » et devrait empirer avec l’accroissement rapide de la population. Cette île risque d’être inhabitable avant d’être engloutie.
Solution alternative, des réservoirs sont utilisés pour collecter et stocker l’eau de pluie. Tebikenikora en héberge quatre. « Dieu bénisse la Nouvelle Zélande qui a financé les citernes. On amène beaucoup moins souvent les enfants à l’hôpital. » Remercie le pasteur Eria en orientant la paume de ses mains vers le ciel. « Il nous faut être sûrs d’avoir de l’eau potable en permanence. Pour être en sécurité. Dis bien dans ton texte qu’il nous faut d’autres réservoirs. »
Je promets, en précisant que ma position de témoin ne garantit en rien une amélioration de la situation. Si l’intervention du secrétaire général des Nations Unies reste sans effet, il y a peu de chances que celle d’un écrivain hante quoi que ce soit.
Un jour, Eria à eu l’occasion de faire un voyage à Genève, où elle a vu le jet du lac Leman : « C’est incroyable, ils peuvent se permettre de s’amuser avec de l’eau douce. » Il est sidéré par la Suisse, et choqué quand je lui apprends que la consommation domestique quotidienne aux Etats-Unis s’élève à 360 litres par personne. Le révérend me scrute pour s’assurer que je ne plaisante pas, avant de demander : « Mais ils en font quoi ? »
Julien Blanc-Gras
Paradis(avant liquidation)
Pages 110 à 113
Au diable Vauvert
Comme chaque mois d’août, en collaboration avec citation-livre.com, nous publions des extraits des meilleurs livres relatifs aux sujets que nous traitons dans notre blog.