Quelle est la définition de la CSRD et quels impacts pour les entreprises ?
Un vent nouveau souffle sur le paysage réglementaire avec le nouveau reporting de durabilité de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Ce reporting impose aux entreprises de justifier des moyens mis en œuvre pour transformer leur modèle d’affaires.
Si la CSRD ne concerne que les entreprises de plus de 250 personnes actuellement, cela va avoir des répercussions sur les plus petites entreprises à moyen et long terme.
Pour Barbara Thocquenne, Fondatrice de BThConseil et consultante RSE, il n’y a pas de doute : c’est l’actualité phare en 2024.
L’interview en synthèse :
- Préambule : définition de la CSRD
- Quelques mots sur le parcours de Barbara Thocquenne, consultante RSE
- Tour d’horizon des grandes tendances RSE des dernières années
- Zoom sur la CSRD et le nouveau reporting de durabilité
- Quels risques pour les entreprises qui ne jouent par le jeu ?
- On termine avec quelques conseils pour motiver les dirigeants de PME !
🕑 Temps de lecture : 6 minutes
Préambule : définition de la CSRD
La CSRD est une législation européenne qui vise à renforcer et harmoniser la communication des informations en matière de durabilité par les entreprises.
Cette directive exige des entreprises qu’elles publient des rapports de durabilité conformes à des normes communes.
Plus précisément, les rapports doivent couvrir :
- des aspects environnementaux,
- sociaux,
- et de gouvernance (ESG).
Objectif principal ? Favoriser la transparence, la comparabilité et la fiabilité des informations extra financières. Cela contribue ainsi à une prise de décision plus éclairée pour les investisseurs, les régulateurs et le public, tout en promouvant la durabilité et la responsabilité des entreprises au sein de l’UE.
"Quels événements vous ont amenée à travailler sur des questions en lien avec la RSE ?"
“En 2019, j’ai créé mon activité de consultante indépendante en RSE, responsabilité sociétale des entreprises : j’ai ainsi pris le contre-pied d’une longue carrière en entreprise dans des fonctions axées sur le conflit social et la guerre économique.
Pendant ces années-là, je faisais beaucoup de veille stratégique. Dès 2010, je constatais alors que la RSE prenait de plus en plus d’ampleur. La norme ISO 26000 venait de sortir. Percevoir cette évolution dans la société a été une vraie bouffée d’oxygène pour moi : on pouvait gérer une entreprise et travailler autrement ! »
“J'accompagne les TPE et PME à définir leur stratégie de transformation RSE et à la mettre en œuvre.”
« Aujourd’hui, j’accompagne les TPE et PME dans leur stratégie RSE. Le temps presse : les exigences en matière de RSE des grandes entreprises avec leurs fournisseurs ou leurs prestataires sont de plus en plus précises, nombreuses et impérieuses. Ces grands donneurs d’ordre cherchent surtout à répondre à une obligation de reporting qui est de plus en plus encadrée.”
"Quelles sont les grandes tendances de ces dernières années en matière de RSE ?"
“Nous sommes passés d’une RSE volontaire à une RSE règlementaire.
À l’origine, la RSE est une démarche intentionnelle de l’entreprise qui choisit de prendre en considération, dans ses activités, ses impacts sociaux et environnementaux. Il n’était pas question de s’immiscer dans le libre arbitre des chefs d’entreprise. Il y avait une sorte de conviction qu’il suffirait d’acculturer pour que les dirigeants s’emparent de la question.
En réalité, rien ne s’est passé pendant près de 30 ans ! Pire, on a présenté la préservation de l’environnement comme le combat de militants et non comme l’affaire de tous, en particulier celle des acteurs économiques.
Mais les choses changent. Depuis les Accords de Paris en 2015, une loi contraignante majeure est promulguée chaque année en France. L’année 2019 a été décisive car elle a rendu la RSE obligatoire : désormais toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, doivent être en mesure de répondre de leurs pratiques préjudiciables envers la société et/ou l’environnement selon le principe de redevabilité. Mais cette loi ne dit pas comment elles doivent s’y prendre et surtout quelles sont les sanctions en cas de manquement.”
“La loi PACTE de 2019 a rendu la RSE obligatoire, mais elle n’indiquait pas les sanctions en cas de non-conformité. Cela change avec la CSRD. Il faut s’attendre à plusieurs milliers voire dizaine de milliers d’euros”
“Cela va changer avec la CSRD : le nouveau rapport de durabilité va permettre d’évaluer finement les objectifs des entreprises et les correctifs, les moyens mis en œuvre pour transformer leur modèle d’affaires. Le reporting sera dématérialisé, ce qui signifie qu’une IA détectera les incohérences.
De plus, la CSRD donne aux États la possibilité de sanctionner. La directive parle de sanctions “effectives, proportionnées, dissuasives ”. Par-là, il faut s’attendre à plusieurs milliers voire dizaines de milliers d’euros !
En conséquence, certaines entreprises comprennent déjà qu’elles doivent s’atteler dès maintenant à formaliser une vraie stratégie RSE transformative qui leur permet d’identifier les activités sur lesquelles elles peuvent se reposer, celles qu’elles doivent améliorer, celles qu’elles vont devoir abandonner… tout en embarquant leur écosystème pour déterminer comment s’y prendre.
L’ère de la RSE sporadique marquée par quelques bonnes pratiques est bel et bien terminée : place à la transformation de fond !
Une deuxième tendance que j’observe est un changement profond dans notre rapport au travail. Il y a toute une génération qui a vu ses parents soumis et mal remerciés. Je suis toujours étonnée du nombre grandissant de jeunes entrepreneurs qui se détachent complètement du monde du salariat !”
Rédactrice : “Je rebondis sur ce que vous dites car j’ai l’impression qu’il y a de nouvelles attentes de la part d’une jeune génération de plus en plus préoccupée par la question climatique. Les bouleversements actuels questionnent notre rapport au vivant, et par effet ricochet le rapport aux autres et à soi-même. Nous évoluons à une époque où certains souhaitent de plus en plus intégrer la question du soin dans leur quotidien. C’est ce que je ressens quand on parle d’équilibre vie pro – vie perso.”
“Absolument. Une population vieillissante, une population qui vit en moins bonne santé à cause de la malbouffe, de la pollution, de la sédentarité… Tout cela nous expose à des moments compliqués à gérer au quotidien. Nous devons prêter une attention particulière à nous-même et à nos proches.
En revanche, sur la question de la génération, je nuancerais. Ce n’est pas seulement les jeunes. On a tendance à parler surtout de cette génération parce qu’elle a une autre manière de communiquer.
À mon époque, on passait par des corps intermédiaires pour se faire entendre. Les jeunes aujourd’hui ont une prise de parole directe et médiatique comme un discours lors d’une remise de diplôme, des affiches placardées sur les panneaux des élections électorales, des posts sur les réseaux…
Pour moi, ce n’est pas seulement une histoire de génération. En entreprise, quand je repère quelqu’un de moteur sur lequel je peux m’appuyer pour mettre en œuvre une démarche RSE, je constate qu’il n’y a pas d’âge !”
"Pour quelles raisons, la CSRD est LE sujet central pour les dirigeants et responsables RSE ?"
“Dès 2025, ce rapport va concerner les entreprises de plus de 250 personnes. Ce nouveau reporting implique d’avoir une réflexion à la fois stratégique et opérationnelle en matière de transition écologique et sociale.

Mais les entreprises ne peuvent pas faire ce reporting toutes seules car elles interagissent avec une grande diversité d’acteurs. Par conséquent, elles sont obligées de récolter des informations auprès de leurs parties prenantes. Et parmi elles, se trouvent de plus petites entreprises. On voit bien que la CSRD est un sujet qui concerne toutes les entreprises in fine.
Par exemple, si vous dites que vous décarbonez vos achats, cela suppose que vous achetiez auprès de fournisseurs, plus petits parfois, qui logiquement contrôlent leurs émissions carbone.”
“La CSRD a des répercussions indirectes sur les plus petites entreprises.”
“Plus que jamais, les entreprises vont devoir rassembler leurs forces ! À ce titre, j’aime bien citer cette association de la filière ferroviaire pour laquelle j’interviens actuellement.
On connaît tous les majors de ce secteur : la SNCF, Thales, Alstom… Ces entreprises ont depuis longtemps initié leur démarche de durabilité pour répondre à leurs obligations. Autour d’elles évolue une myriade d’acteurs économiques plus petits. L’association en question a pour objet de soutenir tous les acteurs de cette filière pour faire rayonner leurs activités. Elle a donc organisé des groupes de travail avec les grands groupes pour recueillir leurs attentes RSE. Par la suite, sur la base d’un modèle d’accompagnement sur mesure que nous ajustons et mutualiserons, elle rassemblera des dirigeants volontaires de PME par « grappe » pour les aider à s’entraider à structurer une démarche qui répondra aux attentes de leurs donneurs d’ordre. L’initiative est remarquable !”
"Que risquent les entreprises qui ne se préparent pas dès maintenant à la CSRD et ce nouveau rapport de durabilité ?"
“À terme, elles risquent tout simplement de disparaître. Au-delà des sanctions pécuniaires qui seront prévues et qui seront, finalement, un bien moindre mal, ces entreprises mettront à mal leurs équipes pour produire, dans l’urgence, un reporting qui sera, de toute façon, tôt ou tard exigé.
Leur image sera également très écornée : clients, investisseurs, talents, partenaires… se détourneront car ils ne les identifieront pas comme des entreprises concourant à la transition écologique et au développement durable.
Souvent, les PME ne prennent pas le sujet de la RSE à bras le corps car elle implique des coûts à court terme. Mais on n’est tout simplement pas sur les mêmes temporalités. Il faut se défaire de cette vision court termiste : la RSE est un investissement d’avenir.
Il est évident que le contexte a été, et reste encore difficile pour les dirigeants. Il y a eu la crise sanitaire et maintenant une crise énergétique et l’inflation galopante… Pris dans le tourbillon du quotidien, il n’est pas facile de prendre du recul. Au-delà du coût, le temps manque et les compétences internes sont rares chez les TPE et PME pour ce genre de projet. Mais encore une fois, il est plus problématique de ne pas y aller : c’est un peu comme manquer le train, manquer d’anticipation, ce qui est un comble pour un dirigeant !”
"Quels conseils ou messages aimeriez-vous transmettre aux dirigeants et RRSE pour qu'ils et elles s’emparent du sujet ?"
“Je conseille vivement aux professionnels de s’organiser pour mutualiser les coûts afin de formaliser et mettre en place leur démarche RSE qui implique des prestations de conseil, l’acquisition de nouveaux outils, de nouvelles compétences, des formations, la réalisation d’un bilan de son empreinte carbone…”
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“La filière ferroviaire que je citais plus tôt est un bon exemple à ce propos. Elle propose en quelque sorte une démarche RSE clé en main. Les différents acteurs s’organisent et s’entraident pour prioriser leurs actions ; c’est d’autant plus important que les dirigeants ont des niveaux de maturité différents. En allant interroger les grands groupes sur leurs attentes, les plus petites entreprises peuvent plus facilement identifier quels sont les chantiers incontournables pour leur secteur d’activité. Cela permet aussi de créer du liant entre les acteurs, d’avoir une vision plus systémique des enjeux et des impacts.”
“Les dirigeants doivent se préparer dès 2024 à ce nouveau reporting, en mutualisant les coûts. L’union fait la force !”
Rédactrice : “À vous écouter, il paraît évident que les entreprises ont tout intérêt à réfléchir et définir une stratégie dès 2024. De ne pas attendre d’être sous le joug de la réglementation ou d’avoir des comptes à rendre auprès de leurs clients. Cela permet d’éviter de faire les choses dans la précipitation, de faire les mauvais choix, de pressuriser son équipe et de s’épuiser soi-même… À l’inverse, s’organiser collectivement est plus motivant et stimulant d’un point de vue intellectuel et émotionnel.”
“Tout à fait. Le reporting de durabilité concernera sûrement toutes les entreprises à moyen terme. Pour les plus petites entreprises, celles de moins de 250 salariés, il sera probablement allégé mais il sera exigé. S’y préparer dès maintenant n’est pas du luxe car les exigences européennes sont très fortes.
J’ai entendu un responsable financier me dire “On a vu avec notre expert-comptable, ça va… La CSRD c’est dans 3 ans”. Quelle inconscience ou inconstance ! Il ne faut pas minimiser le nombre d’étapes à franchir, ni leur complexité. C’est un changement de paradigme. Le nouveau reporting de durabilité rend compte de la pertinence et de la réalité de la transformation de l’entreprise vers un modèle durable, sans énergie carbonée et il ne faut pas en sous-estimer les conséquences.
Au-delà du conseil que je donne, j’aimerais transmettre un message qui selon moi est un levier fort de motivation. Être dans une démarche RSE signifie se donner les moyens d’aligner la tête et le cœur. Autrement dit, c’est pouvoir être fier de ce que l’on fait ! Personnellement, c’est cette perspective d’équilibre qui m’a motivée à créer mon entreprise. Pour moi, l’alignement est le contraire de vivre dans le conflit et l’urgence en permanence. Je ne crois pas qu’il y ait un seul individu qui aime vivre de cette manière. Je ne dis pas que la RSE transformera notre monde en un monde parfait ! Mais vu ce qui nous attends, il est crucial de transformer son entreprise pour s’adapter au réchauffement climatique. L’enjeu est d’anticiper pour ne pas subir les bouleversements à venir.
Je suis dirigeante et je considère que je ne suis pas là pour ne gérer que des crises. Finalement, la RSE implique de se connecter ou se reconnecter à son environnement, de donner ou redonner du sens à son quotidien : quelle est notre contribution à la société ? On ne vit pas pour soi ; on vit pour l’empreinte qu’on laissera aux autres.”
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