Imaginons un arbre quasi-miraculeux, capable de nourrir les hommes avec ses fruits, d’alimenter le bétail grâce à ses feuilles, d’aider au stockage de manière durable du CO2 dans le sol, tout en fertilisant ce dernier : un « arbre sauveur » en quelque sorte. Cet arbre existe et il fait même l’objet d’une expérimentation en Haïti par Biomimicry Europa, nommée justement « Programme Arbres Sauveurs ». Il s’agit du Brosinum alicastrum, ou encore Noyer Maya ou encor noix-pain, un arbre originaire d’Amérique Latine.
Qu’a-t-il donc de si extraordinaire ? Le projet part d’une découverte de l’équipe du Professeur Eric Verrechia, de l’Université de Lausanne : il existe des arbres « oxalogènes », c’est à dire capables, via la photosynthèse, de capturer le CO2 atmosphérique (là, rien de nouveau) mais de plus de le transformer, en association avec des champignons, en un sel organique, l’oxalate, qui devient, grâce aux bactéries du sol, carbone de calcium autrement dit calcaire, qui se retrouve piégé dans le sol. Il permet donc de stocker le gaz carbonique sous forme de calcaire dans le sol, donc de manière beaucoup plus durable que les forêts tempérées. Il enlève en quelque sorte du carbone du cycle biologique pour le mettre dans le cycle géologique, au temps de résidence considérablement plus long.
Et voilà un projet innovant, né d’une collaboration ouverte et transdisciplinaire entre passionnés, au sein du projet européen CO2 Sol Stock, entre le cabinet Greenloop, le laboratoire de biogéoscience de l’université de Lausanne d’Eric Verrechia et Biomimicry Europa, qui développe le programme « Arbres Sauveurs », coordonné par Daniel Rodary, biologiste responsable de ce programme, en Haïti, où 80 000 plants de Noyers Maya sont actuellement en croissance dans des pépinières. Ils devraient commencer à produire d’ici un à trois ans.
« En s’inspirant en plus des écosystèmes forestiers naturels, ces plantations sont faites selon des modèles en « boucles fermées » qui permettent au système de se renforcer et de s’enrichir en permanence, sans apports extérieurs soutenus, pour initier une inversion des cycles de la dégradation des sols, de la perte de biodiversité, de l’épuisement des nappes phréatiques, de l’endettement et de l’appauvrissement des agriculteurs, et de la malnutrition qui en résulte » précise Biomimicry Europa.
Ils produisent des noix, hautement nutritives, qui peuvent s’utiliser comme des pommes de terre, se conserver sèches, se transformer en farine, etc. Les feuilles peuvent nourrir le bétail et la sève être bue directement. Ils agissent de plus comme des fertilisants naturels : le sol devient meilleur sous ces arbres. L’objectif du programme « Arbres Sauveurs » est donc multiple : reforester des zones érodées, arides et très isolées, et nourrir les populations locales tout en fertilisant des sols.
Ce projet est directement issu du biomimétisme, qui transfère et applique des propriétés remarquables observées à différentes échelles du vivant vers des activités humaines. Dans ce cas, explique le professeur Verrecchia, « il s’agit de planifier un environnement correct pour les générations futures, en leur permettant d’envisager les arbres et leurs fruits comme des filières écologiques et économiques et de combiner l’industrie du bois et l’agriculture grâce à des forêts cultivées. Pour moi, c’est le plus important. Par ailleurs, je pense qu’il faudrait relancer partout le bois, dans la construction par exemple. On assurerait ainsi un stockage du carbone à long terme, alors que l’arbre finira par se décomposer dans la forêt en rejetant du CO2. Il faut voir le bois comme un prolongement écologique de la société humaine... »
Sources : Biomimicry Europa, Université de Lausanne, National Geographic