Des chercheurs du CNRS (Centre Nationale de la Recherche Scientifique) ont publié en juin, dans One Earth, une étude dont il ressort que l’agroécologie pourrait, dès 2050, nourrir l’Europe sous trois conditions. Il faudrait pour cela opter pour une alimentation moins carnée, appliquer les principes de l’agroécologie et rapprocher culture et élevage. Le tout aurait également l’avantage de réduire la pollution de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre.

Un système agroalimentaire biologique
Après la Seconde Guerre mondiale, l’évolution du système agro-alimentaire européen a été marquée par l’intensification de l’utilisation d’engrais synthétiques, la spécialisation territoriale et l’intégration dans les marchés mondiaux de l’alimentation humaine et animale. Ce modèle n’est plus tenable en raison de la dépendance aux intrants à base de pétrole et des importations de soja pour nourrir le bétail.
Or, selon les résultats de l’étude menée par Gilles Billen, biogéochimiste et directeur de recherche, « Avec un système agroalimentaire biologique, il serait possible de renforcer l’autonomie de l’Europe, de nourrir la population attendue en 2050, d’exporter encore des céréales vers les pays qui en ont besoin pour l’alimentation humaine, et surtout de diminuer largement la pollution des eaux et les émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture ».
Un régime alimentaire moins carné
Pour une cohabitation équilibrée entre agriculture et environnement, ce système agro-alimentaire biologique et durable, respectueux de la biodiversité et suivant les règles de l’agroécologie, repose sur trois leviers. Le premier consiste en un changement de nos habitudes alimentaires. Et d’abord, réduire notre consommation de viande. Depuis 1960, la part de produits animaux dans l’alimentation moyenne d’un Européen est passée de 35 % à plus de 55 %. Il faudrait faire tomber ce taux à moins de 30 %.
« Nous préconisons un régime méditerranéen ou crétois, avec 30% d’apports protéiques d’origine animale et 70% d’apports protéiques d’origine végétale. C’est le régime proposé par les diététiciens, avec des besoins de base de 3,5 kilos d’azote protéique par an par personne. Aujourd’hui nous sommes au double, nous consommons beaucoup trop de productions animales », explique Gilles Billen. Cela permettrait de limiter l’élevage hors sol et de supprimer les importations d’aliments pour le bétail.
Agroécologie et fin de l’ultraspécialisation
Le deuxième levier propose l’application des principes de l’agroécologie, avec la généralisation de rotations de cultures longues et diversifiées. Celles-ci intègrent des légumineuses. Il faudrait mettre en place des rotations entre céréales et légumineuses (haricots, lentilles, luzerne, trèfles) qui ont l’avantage de fixer l’azote au sol. Cela permettrait d’avoir recours à une agriculture biologique, se passant des engrais azotés de synthèse comme des pesticides.
Enfin le dernier levier du scénario réside dans un rapprochement des cultures et des élevages. Cela veut dire mettre fin à l’ultra-spécialisation des régions, soit dans l’élevage, soit dans la culture. Ainsi, explique le biogéochimiste, « Aujourd’hui la Bretagne produit la viande pour le reste de la France et le bassin parisien fournit les céréales. C’est complètement absurde, cela ne peut fonctionner harmonieusement. Nous préconisons un retour à la polyculture élevage pour permettre de refermer les cycles des matières avec la fertilisation des sols grâce aux déjections animales ». Restaurer les exploitations mêlant polyculture et polyélevage permettrait effectivement une utilisation optimale du fumier, selon les principes de l’agroécologie.
Nourrir l’Europe en réduisant pollution et gaz à effet de serre
Selon ce scénario, il serait donc possible de renforcer l’autonomie de l’Europe, de nourrir sa population dans la totalité en 2050, et d’exporter encore des céréales vers les pays qui en ont besoin pour l’alimentation humaine. Et de rendre l’Europe moins dépendante des exportations de soja, tout en se tournant résolument vers l’agriculture biologique.
Mais il permettrait de plus de diminuer largement la pollution des eaux et les émissions de gaz à effet de serre par l’agriculture. « En gros cela réduirait de moitié la pollution des eaux, avec de l’eau potable partout en dessous des champs et cela réduirait de moitié les émissions de gaz à effet de serre », affirme Gilles Billen.