S’il ne fait plus de doute aujourd’hui que les comportements des occupants d’un logement influent significativement leur consommation énergétique en dehors de toute considération du bâti ou des équipements, les solutions envisagées pour exploiter ce gisement d’économies, évalué à 30/35%, sont encore peu nombreuses. En effet, les pratiques de consommation sont très diverses et les approches quantitatives des modèles statistiques ou d’ingénieur sur lesquelles s’appuient généralement les politiques publiques cachent d’autres déterminants de la demande que les sciences sociales telles que l’anthropologie tentent d’éclairer.
Les expérimentations, dans un contexte de transition énergétique, consistant à accompagner individuellement les foyers vers un nécessaire changement de comportement plus vertueux (ex. Ma ville est au courant !) n’en sont pas moins isolées et ne fédèrent pas encore l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur des économies d’énergies.
Il est ainsi constaté que le consommateur final ancré dans une certaine idée d’une norme sociale de confort de son logement fait de la résistance. Dépense de consommation du logement comme une autre, l’énergie fait donc l’objet d’arbitrages dans un contexte d’incertitude généralisée et de morosité économique. Tantôt, il fait du cocooning via un « repli thermique » en négligeant d’autres dépenses, tantôt et si besoin il n’hésitera pas à abaisser la température voire stopper le chauffage d’une pièce. La contradiction ou l’incompréhension des messages qu’il est susceptible de recevoir dans le cadre d’un enjeu national/international [d’un côté des fournisseurs d’énergie n’intègrent pas directement les économies dans leurs offres de fourniture, de l’autre le consommateur reçoit une injonction forte d’en réaliser], a pu le rendre méfiant et le conforter dans un raisonnement court-termiste repoussant sine die toute décision bouleversant ses habitudes de confort.
Présenter les économies d’énergie comme un choix non contraignant c’est le principe de « l’architecture du choix » ou « nudge » que devrait intégrer, selon le Centre d’Analyse Stratégique [1], les instruments de politique publique aux côtés de ceux existants, comme une incitation à rompre l’inertie du comportement des consommateurs ou la création d’une norme sociale par défaut. Pouvoir se comparer à son voisinage et bénéficier d’un retour d’information sur son comportement sans induire des effets pervers c’est tout l’enjeu du « nudge ».
Bien que critiquée [2] car pouvant remettre en cause la crédibilité de l’action publique, cette voie mérite d’être au moins expérimentée. Pour plusieurs raisons et au regard de l’accompagnement des consommateurs, indissociable du changement de comportement demandé dans un contexte de transition énergétique :
- le Commissariat Général du Développement Durable publiait une étude réalisée par le CIRED [3] et estimait à
- 8.5% en 2020 la réduction d’énergie primaire dans les bâtiments avec les instruments existants alors que l’objectif du Grenelle Bâtiment l’a fixé à -38%. L’étude soulignait également que l’effet rebond comptait de 5% à 55% dans l’effacement des économies après des travaux de rénovation d’efficacité énergétique.
- comme le soulignait Jean-René Brunetière [Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable] [4], l’étude des pratiques de consommation d’énergie a longtemps été délaissée. « Curieusement, ajoute t-il, on sait beaucoup plus de choses sur la vie sexuelle des français que sur leur usage de l’énergie… »
- le « Nudge », selon les auteurs Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein [5] faisant référence à une « liberté de choix » pour tous, influence mais ne contraint pas. Contrairement à l’idée erronée selon laquelle nos décisions seraient rationnelles, le « nudge » entraîne un choix par défaut qu’il est toujours possible de corriger. Dans la mesure où le commun des mortels fait le plus souvent appel à un « système de pensée automatique », le « nudge » recourt largement à la partie intuitive de notre cerveau afin d’aider la prise de décision complexe mais souhaitée par l’action publique comme contribuant à l’amélioration du bien être.
C’est ainsi qu’un rapport de la Chambre des Lords [6] plaide pour l’introduction de « nudges » dans tous les domaines de l’action publique. A titre d’illustration, est reproduit et traduit ci-dessous un tableau décroissant de types de mesures de la plus contraignante à la moins contraignante.

Si Hélène Subrémon , recommande que les sciences sociales en étudient les impacts, c’est le signe d’un décloisonnement du traitement des questions de consommations énergétiques et d’une mobilisation plus large sur les enjeux énergie-climat, comme en témoigne l’organisation des 1ères Journées Internationales de Sociologie de l’Énergie les 25 et 26 Octobre 2012 à Toulouse [http://socio-energie.sciencesconf.org/].
A suivre…
[1] “Nudges verts” : de nouvelles incitations pour des comportements écologiques – CAS – Note d’analyse – Mars 2011 – n°216
[2] Hélène Subremon – « L’anthropologie des usages de l’énergie dans l’habitat, Un état des lieux » – PUCA
[3] Evaluation des mesures du Grenelle de l’Environnement sur le parc de logements – Etude et Documents n°58 – Nov. 2011
[4] Inspecteur Général des Ponts, des eaux et forêts – Séminaire sur les comportements d’usage de l’énergie dans les bâtiments – Rapport d’étape – Mars 2011
[5] Nudge – La méthode douce pour inspirer la bonne décision
[6] House of Lords – Science and Technology Select Committee – Behavior Change – 19 July 2011