Si le bonheur est à ce prix, de quel enfer s’est-il nourri ? (Yves Duteil)
Le site de France 5 présente dans sa collection Portraits d’un nouveau monde, un documentaire sur les Maldives, « îles paradisiaques » du sud-ouest asiatique. Intitulé Carte Postale du Paradis (de Poul Madsen et Henrik Kastenskov), il ne nous montre pas le décor de plages de sable fin que le nom des Maldives évoque instantanément, mais l’envers de ce décor : un pays qui, pour faire face aux milliers de tonnes de déchets générés chaque jour par les touristes, a sacrifié une île, la transformant ainsi en île-poubelle, et qui peu à peu se retrouve dans un état d’urgence écologique.
Les réalisateurs nous ouvrent les yeux sur la face cachée de cette destination paradisiaque grâce à l’île de Thilafushi, devenue véritable décharge nationale.
A quelques kilomètres des plages, des centaines de tonnes d’ordures parfois toxiques s’accumulent sur cette île, triées tant bien que mal par une centaine de travailleurs immigrés.
700 000 touristes par an, soit pratiquement deux fois plus que d’habitants, une manne pour ce petit pays qui lui a permis de devenir un des pays les plus riches d’Asie avec un PIB de 4 500 dollars par an et par habitant. Une aubaine mais aussi la cause de désordres importants : l’un direct avec la pêche de loisirs – les fonds marins s’appauvrissent, permettant difficilement aux pêcheurs traditionnels de trouver suffisamment de poissons pour gagner leur vie – l’autre indirect avec la production d’ordures que le pays ne peut pas gérer.
Les touristes pêchent pour s’amuser et rejettent à la mer le produit de leur pêche. Or le tourisme représente 30 % du PIB. Pas question de lui interdire quoi que ce soit. Les pêcheurs traditionnels redoutent même que sous la pression des hôteliers, le gouvernement leur accorde le droit de pêcher au filet, ce qui aurait pour double effet de détruire des bancs entiers de poissons et de condamner définitivement la pêche traditionnelle, deuxième activité économique de l’archipel (6 % du PIB), et qui représente à elle seule 98 % des exportations de denrées. Les pêcheurs voyaient dans les touristes une richesse, mais la situation est en train de changer.
La pollution s’accroit chaque jour du fait du nombre de touristes et les fonds marins de tout l’archipel s’appauvrissent. D’autant plus que les touristes sont à l’origine de monceaux de déchets, en dehors des ordures qu’ils rejettent directement à la mer. A tel point qu’en 1992, l’île de Thilafushi, l’une des 1 200 que compte l’archipel, est transformée en décharge. Au début, les déchets étaient ensevelis, mais les bateaux débarquent 330 tonnes d’ordures par jour, à présent déposées sur le sol, sans aucun tri préalable. A cause des ordures déversées dans les eaux peu profondes, l’île grandit d’un mètre carré par jour. Mais dans ces ordures se glissent aussi des déchets toxiques : amiante, métaux lourds, déchets électroniques qui polluent la mer, mais menacent aussi la santé des éboueurs.
Dans la décharge travaillent 150 éboueurs, tous émigrés, pour la plus grande partie du Bangladesh, car personne d’autre ne veut y travailler en raison de la puanteur et des risques. Ceux-ci dégagent la route pour les camions apportant chaque jour leur encombrant chargement, et mettent le feu aux ordures, après avoir déversé dessus de l’huile usagée. Ils tentent juste de récupérer un peu les métaux pour les revendre.
Le gouvernement actuel (le président Mohamed Nasheed a été élu en 2008) tente de changer cette situation. Il a créée deux entreprises publiques qui doivent s’occuper du traitement des ordures. Mais les lenteurs administratives empêchent à ces initiatives de porter leurs fruits. Une partie des déchets est exportée vers l’Inde qui rachète 175 dollars la tonne de métaux réutilisables. Le gouvernement pourrait donc envisager d’instaurer un système de tri sur l’île en vue d’un recyclage.
Mais la République des Maldives doit faire face à une autre urgence : le problème de la montée des eaux. Le point culminant de l’archipel se situe à une altitude de 230 mètres, mais 80 % des terres sont à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer. Si le rythme de montée des eaux (actuellement 3 mm par an) s’accélère, l’archipel disparaitra vers l’année 2 100. Un péril qui empêche peut-être le gouvernement d’agir comme il le faudrait contre la pollution, qui participe pourtant elle-aussi à ce changement climatique.
Source : France 5 (Carte postale du paradis), Blog m.ammoth.us (image)