Les organismes à qui le gouvernement confie des missions prennent généralement tout leur temps pour rendre les rapports. Mais pas dans le cas des gaz de schiste ! Le rapport définitif demandera peut-être quelques recherches supplémentaires, mais qu’importe ! Le rapport provisoire (et ultra rapide) est là et satisfait pleinement… les industriels, qui s’en frottent littéralement les mains. En effet, le moins que l’on puisse dire est que cette étude de la mission conjointe du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), se montre tout à fait favorable à une reprise rapide des expérimentations.
Le rapport
Les ressources potentielles ?
Et le programme est alléchant ! Les ressources ? On ne les connait pas exactement puisque l’on n’a pas fait suffisamment de recherches, mais elles sont quand même très prometteuses ; la preuve, le rapport en donne même des estimations :
Dans l’état actuel de nos connaissances, les ressources en gaz et huiles de roche-mère de notre pays restent largement inconnues faute d’avoir réalisé les travaux de recherches nécessaires à leur estimation. Si ces ressources ne sont pas définitivement prouvées, la comparaison avec les formations géologiques analogues exploitées en Amérique du nord laisse à penser que notre pays est parmi les pays les plus prometteurs au niveau européen en huiles dans le bassin parisien (100 millions de m3 techniquement exploitables) et en gaz dans le sud du pays (500 milliards de m3).
Sont-elles économiquement exploitables ? On ne peut pas donner de réponses définitives en l’absence de tests, mais très certainement ; la preuve, de grands groupes s’y intéressent et sont prêts à s’y lancer :
L’intérêt que portent à notre pays les grands opérateurs pétroliers et gaziers et les compagnies nord-américaines spécialisées dans l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, ainsi que les investissements qu’ils se proposent de consentir, attestent de l’ampleur du potentiel. D’un point de vue technique et économique, la probabilité que l’accès à ces gisements permette à notre pays, à un horizon temporel à préciser, de réduire très sensiblement ses importations d’hydrocarbures et de limiter d’autant le déficit de sa balance commerciale n’apparaît pas négligeable.
Question de vocabulaire
Ah oui, à propos, les termes « gaz et huiles de schiste » généralement utilisés actuellement sont impropres : le rapport parle donc « d’hydrocarbures de roche-mère ». Tout comme l’appellation trompeuse de gaz non-conventionnel :
Ce qui est « non-conventionnel » n’est pas la nature de l’hydrocarbure, mais la roche dans laquelle on les trouve et les conditions dans lesquelles ils sont recherchés et exploités dans cette roche.
Ouf, une fois ces termes expliqués, nous sommes certainement rassurés !
L’exploitation : on peut progresser
Les méthodes d’exploitation ? Mais justement il faut faire des expérimentations pour pouvoir évoluer. D’ailleurs tous les organismes et les grandes entreprises le disent, on va faire des progrès :
Il reste encore des marges de progrès à réaliser et des approches innovantes à susciter, aussi bien en termes d’optimisation des forages pour accéder au maximum des ressources que pour rendre ces forages compatibles avec la protection de l’environnement.
D’accord, il va falloir respecter quelques conditions, quatre pour être précis :
- qu’une bonne connaissance de la géologie et de l’hydrogéologie locales soit acquise,
- que les meilleures technologies disponibles soient utilisées,
- que les travaux de recherches d’hydrocarbures soient strictement encadrés d’un point de vue
- technique et juridique,
- que l’autorité en charge de la police des mines exerce ses contrôles avec rigueur.
Ne surtout pas rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel
Et de toute façon, passer à côté de ce potentiel sans l’étudier serait très certainement une erreur :
Il serait dommageable, pour l’économie nationale et pour l’emploi, que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle : accepter de rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel ne serait cohérent ni avec les objectifs de la loi POPE, ni avec le principe de précaution. Mais, pour ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d’exploration.
Il faut donc se lancer dans les explorations et lever le moratoire, ce qui permettra aux entreprises françaises, apparemment pas tout à fait prête, de ne pas prendre de retard. Le rapport suggère de respecter toutefois quatre principes :
- Lancer un programme de recherche scientifique, dans un cadre national ou européen, sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux.
- S’agissant des Causses-Cévennes, il importera de parfaire la connaissance scientifique du fonctionnement des aquifères et de leurs connexions dans les formations karstiques, connaissance indispensable à une gestion optimale de la ressource en eau ;
- Promouvoir la réalisation, par les industriels, d’un nombre limité de puits expérimentaux « sur-instrumentés » afin de pouvoir s’assurer du respect des enjeux environnementaux. L’implantation de ces forages sera à définir en cohérence avec les besoins des opérateurs concernés ;
- Ces études et expérimentations contribueront à l’émergence et à la formation d’opérateurs et de sous-traitants nationaux susceptibles de se positionner sur le marché mondial.
Pour se conformer aux principes nationaux et européens, le rapport recommande de mieux informer le public et les élus, et même que « des procédures de consultation préalable soient instituées avant l’octroi de permis d’exploration ». Et si vraiment, ils ont du mal à accepter l’idée, on peut les y encourager :
La mission préconise une révision de la fiscalité pétrolière de sorte que les collectivités locales trouvent un intérêt à une exploitation d’hydrocarbure sur leur territoire.
La conclusion de la mission est claire : l’exploitation des gaz et huiles de schiste est bien trop prometteuse en avenirs qui chantent (indépendance énergétique, emploi, réduction du déficit de la balance commerciale) pour qu’on l’abandonne en route. Donc, toujours selon le rapport, on reprend les expérimentations et on verra bien après :
Enfin, dans deux ou trois ans, l’expérience acquise, aussi bien dans notre pays qu’en Europe et en Amérique du Nord, permettra de prendre des décisions rationnelles sur l’opportunité d’une exploitation de gaz et huiles de roche-mère en France.
Les réactions
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Favorables du côté des industriels du secteur : à commencer par la compagnie américaine, Toreador, ravie apparemment de ces résultats, puisque son PDG, Craig McKenzie, a aussitôt déclaré :
Toréador se félicite du rapport intermédiaire établi par le CGIET et le CGEDD concernant les activités d’hydrocarbures non conventionnelles en France. Comme le mentionne le rapport, nous nous félicitons de l’intention de permettre une réglementation et une surveillance de l’exploration non conventionnelle.
En tant qu’opérateur de longue date, établi en France, nous allons continuer à interagir avec le gouvernement et les régions locales dans lesquelles nous opérons et nous attendons avec impatience l’occasion de jouer un rôle dans les réalisations économiques et sociales que l’exploration pétrolière dans le Bassin parisien apporterait à la France.
Le président de l’Union Française des Industries Pétrolières, Jean-Louis Schilansky, en est tout aussi satisfait :
Il faut expérimenter et tester ce dont on parle au lieu de prendre des décisions à l’emporte-pièce. Ce rapport est un progrès car il apporte de l’objectivité dans un débat extrêmement émotionnel.
Les réactions, on s’en doute, ne sont pas tout à fait les mêmes du côté des associations et ONG. Pour France Nature Environnement (FNE), il s’agit d’un rapport « fumeux » voire même « caricatural » et n’a qu’un objectif : « rendre acceptable les gaz de schiste aux Français ». Et Maryse Arditi, responsable du réseau Energie de l’association ajoute :
Ce n’est pas sur la foi d’un seul rapport que la décision doit être prise d’exploiter ou non ces hydrocarbures mais en associant les citoyens à un grand débat national sur l’énergie. L’environnement n’est pas une variable d’ajustement, la qualité de l’eau, de l’air, la lutte contre le réchauffement climatique conditionnent notre survie, pas le fait de pouvoir remplir son réservoir.
Sources : La synthèse du rapport CGIET et CGEDD, Enerzine, 20 minutes, gerbeaud.com (image)