Le programme Linky est « un dispositif coûteux pour le consommateur, mais avantageux pour Enedis. » Ainsi la Cour des Comptes donne-t-elle le ton de son rapport sur le déploiement des compteurs communicants. Rapport sévère donc, qui met l’accent sur le peu de bénéfice que tire le consommateur de cette installation.
Des conditions avantageuses pour Enedis
Si la Cour des Comptes ne nie pas que cette modernisation des compteurs soit utile, elle estime que les conditions de financement du programme Linky sont au final coûteuses pour le consommateur, même si elles sont différées, mais particulièrement avantageuses pour Enedis.
Au total, le coût de la mise en œuvre des compteurs communicants, telle que définie par la règlementation, est évaluée à 5,7 Md€. Pour ne pas faire grimper immédiatement la facture du consommateur, le Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a défini un mécanisme de différé tarifaire : Enedis avance les frais et sera remboursé, avec des intérêts (à un taux fixé à 4,6 %) lorsque le système portera ses fruits.
De plus, des conditions avantageuses sont prévues afin d’inciter l’opérateur à respecter les coûts prévisionnels d’investissement. Par contre, les pénalités en cas de non-respect des délais de déploiement de Linky sont particulièrement légères. Ainsi, précise la Cour, « le différé tarifaire et les incitations financières permettront à Enedis de bénéficier de conditions avantageuses. »
Le consommateur au centre du programme Linky ?
Le gain, au niveau des consommateurs justifie-t-il économiquement le projet ? La Cour y voit plutôt « une rentabilité médiocre sur le seul périmètre de la distribution. » Les gains résultent essentiellement de la réduction des pertes non-techniques (entre autres les fraudes, dont la diminution a, à elle seule, justifié économiquement le déploiement des compteurs communicants, ce qui n’est pas le cas en France).
L’amélioration de la maîtrise de la demande d’énergie (MDE) peut-elle réellement justifier le projet ? C’est au niveau de l’usager que se situeront les gains les plus importants (amélioration de la concurrence, valorisation de la télérelève et des téléopérations ne nécessitant pas sa présence). « L’organisation, telle qu’elle est définie, privilégie la satisfaction des besoins du distributeur mais ne prend finalement en compte que partiellement les attentes de l’usager : si Linky peut apporter beaucoup aux différents acteurs, les préoccupations du consommateur d’électricité ne semblent toutefois pas être au cœur du dispositif. »
La Cour souligne un pilotage insuffisant des pouvoirs publics, et des oppositions au déploiement résultant de craintes en matière sanitaire et sur le plan de la protection des données individuelles : « Le caractère tardif, au regard du calendrier du programme Linky, des travaux demandés à l’Anses [2015] montre que l’importance de l’information du public sur la question sanitaire n’a pas été suffisamment prise en compte. » En cause, une information inexistante : « Le caractère tardif de l’étude, s’agissant des questions d’ordre sanitaire, ou le déficit de communication, s’agissant des questions de protection de données, font que les assurances apportées par l’Anses et par les dispositions prises par la CNIL n’ont pas été suffisamment entendues par le public. »
Des gains insuffisants pour le consommateur
« Les gains que les compteurs peuvent apporter aux consommateurs sont encore insuffisants. Ce sont pourtant eux qui justifient l’importance de l’investissement réalisé » souligne la Cour, « [Le portail] d’Enedis souffre de deux faiblesses : la première est que, malgré les actions de communication du distributeur, le taux d’ouverture de compte par les usagers disposant d’un compteur Linky est particulièrement peu élevé (1,5%). La deuxième faiblesse est que l’information de consommation mise à disposition de l’usager n’est jamais valorisée en euros, puisque le distributeur ne connait pas les conditions tarifaires faites par le fournisseur à l’usager. »
La courbe de charge, utile pour dans une démarche de MDE, s’avère difficile à obtenir : « Les conditions d’enregistrement de la courbe de charge sont donc telles que, dans l’état actuel du dispositif, l’usager ne pourra pas disposer des informations attendues s’il n’a pas anticipé sa demande. » Un afficheur déporté peut aider le consommateur à surveiller réellement ses consommations, mais il n’est prévu que pour les ménages précaires. La Cour estime que l’impact de l’installation de Linky pourrait se révéler très faible en termes d’économies d’énergie.
En conclusion, « l’analyse bénéfices-coût au niveau de la distribution ne peut à elle seule justifier économiquement le projet et, en l’état actuel des travaux, le système n’apportera pas les bénéfices annoncés en ce qui concerne la maîtrise de la demande d’énergie. »
L’Etat doit piloter « effectivement les actions permettant de valoriser les contributions de Linky à la maîtrise de la demande d’énergie, en commençant par une meilleure information des usagers sur leur consommation, et que les apports du dispositif en matière de gestion du réseau de distribution électrique soient maximisés. Enfin, les conditions de rémunération d’Enedis sont généreuses et devraient être revues. »
Source : Cour des Comptes
Source illustration : UFC Que Choisir