Pendant la nuit, l marée a atteint la maneaba. Je m’évade de la cérémonie pour aller constater les dégâts et voler quelques images à l’aube mouillée. Tebikenikora se réveille inondée et ne s’en offusque pas. Elle a l’habitude. Le soleil se lève sur ce qui était hier un terrain de volley-ball. C’est désormais un lac. Les enfants batifolent dans l’eau, ils semblent plutôt amusés qu’une piscine se soit formée devant leur maison. Pas de désastre ce matin, juste quelques désagréments. Le village est coupée en deux par un chenal d’un mètre de profondeur. Il faudra attendre que l’eau soit suffisamment basse pour traverser en relevant les jupons. Des adolescents ont bricolé un petit flotteur à balancier, un bac grâce auquel les mamans aux bras chargés peuvent traverser au sec. Je me jette à l’eau avec eux – au diable les bactéries. De l’autre côté, je retrouve ma copine de la veille, celle qui voudrait d’une autre vie. Sa cabane est entourée d’une digue de pierres, inutile puisque submergée. Elle vaque à ses occupations ménagères, l’eau aux mollets, comme si de rien n’était. Le niveau de fatalisme semble proportionnel à celui de l’océan.
Devenu un village symbole du changement climatique, Tebikenikora a vu passer quelques équipe de télévision venues glaner des images spectaculaires. Sur plusieurs continents, des téléspectateurs ont pu compatir au sort de la communauté inondée.
Ben Ki-moon lui même est venu faire un tour. « Il nous adit qu’il était très ému par notre situation et qu’il essaierait de faire quelque chose pour nous » , résume Eria. Quelques semaines plus tard, le secrétaire général des Nations unies soulevait le problème de Tebikenikora à la tribune de l’organisation. Un coup de projecteur mondial pour ce modeste village. Que s’est-il passé depuis ? « Rien. »
Les officiels se sont succédé pour évoquer la reconstruction de la digue avec le révérend. « J’ai eu la visite du président de la République, suivie de celle d’un ministre, puis d’un fonctionnaire. » On est aux Kiribati, la lenteur gouverne. Pourquoi les habitants ne se mobilisent-ils pas pour reboucher cette digue eux-mêmes, depuis toutes ces années ? Ce ne serait pas un énorme travail. « C’est vrai, quelques jours suffiraient, » acquiesce le pasteur. « On pourrait faire un mur en pierre, il tiendrait quelques semaines avant d’être balayé à la prochaine marée. Nous avons besoin d’un vrai mur de ciment et notre communauté n’a pas les moyens d’acheter le matériel. Si on nous fournit le ciment, bien sûr, les hommes le construiront. »
Et combien cela couterait-il ?
« Quelques milliers de dollars. »
Julien Blanc-Gras
Paradis(avant liquidation)
Pages 101 à 103
Au diable Vauvert
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