Lundi 26 septembre dernier, l’Ademe fêtait ses 20 ans au Palais des Congrès à Paris. Une journée d’échanges autour des actions menées en deux décennies par l’organisme public et des enjeux pour l’avenir. Pour clôre la journée, deux des plus célèbres visionnaires français ont dialogué, en toute connivence. Il s’agissait, bien sûr, de Jacques Attali, écrivain, Président de Planet Finance, et de Joël de Rosnay, écrivain scientifique, Conseiller de la Présidence d’Universcience. Le débat était animé par Denis Cheyssou.
Le mariage du numérique et de l’énergétique
Joël de Rosnay a démarré sur l’avènement du numérique dans l’énergétique pour plus de démocratie environnementale.
Avant nous avons eu l’Auto…Mobile puis l’Info…Mobile (web 2.0, smartphone…) mais il n’existe pas encore l’éco-mobilité qui représenterait les échanges d’énergie entre personnes en mode pier to pier. Les réseaux électriques de demain : les RITE (Réseau Intelligent de Transport d’Énergie) ou en anglais « smart-grid » vont le permettre. Votre suivi de consommation arrivera sur votre smart-phone. On va se débarrasser des monopoles nucléaires ou pétroliers. On arrêtera d’être passif avec l’énergie comme avant on l’était avec la seule chaîne de TV de l’ORTF.
Il va falloir plus de mixité énergétique. Mais ce n’est pas simple, les réseaux électriques actuels n’acceptent pas les énergies renouvelables. Par exemple sur l’île Maurice, le gestionnaire de réseau n’accepte pas plus de 2% d’injection d’ENR sur son réseau. Et les producteurs indépendants se rebellent !
Mais cela va changer avec le développement des smart-grids, du stockage d’énergie (dans les véhicules électriques qui sont stationnés 92% du temps), de l’éco-efficacité énergétique et l’arrivée de l’hydrogène (pile à combustible dans les voitures ou à domicile).
Jacques Attali a enchaîné :
Je suis sur la même longueur d’onde que Joël de Rosnay sous réserve de l’environnement socio-politique. L’évolution démographique en 2030, avec la croissance de la population nous mène à un très grand chaos. Le marché ne change pas sans loi. Nous connaissons la mondialisation des marchés mais pas encore la mondialisation des droits, il y a concentration des richesses et centralisme financier. Nous avons un marché commun mondial mais pas d’état de droit ni monnaie unique. Le plus vraisemblable c’est que ça va se passer très mal. La Belle Époque avait vu naître avion, automobile, téléphone… puis crise financière, protectionnisme, crise, première puis seconde guerres mondiales.
Alors d’accord avec Joël mais qui va le faire ? Et en France ? Avec notre culture centralisée, féodale, monarchique… donc nous français, on est encore plus mal placés. La crise ne fait que commencer et elle est encore pire que celle de 1929. C’est une mauvaise nouvelle pour les investissements publics et pour le carbone.
On présente le changement énergétique comme un frein à la croissance : c’est absurde. Les mutations énergétiques sont vecteurs de croissance et la croissance en a besoin. Alors qui ? Les indignés de Hessel ? C’est un signe que les choses commencent à changer, mais il n’y a pas de leader. Il faut penser système global et donner un certain pourcentage d’autonomie : c’est ça la démocratie.
L’énergie peut-elle faire sa révolution aussi vite que l’information ? Non. L’information est altruiste : je te donne l’info, mais je l’ai encore. L’énergie est égoïste : je te donne l’énergie : je ne l’ai plus. La rareté crée le pouvoir. Je ne crois pas au développement rapide des réseaux intelligents sans état fort et sans une valeur élevé des prix. L’Ademe devrait imaginer des normes pour guider cela.
Éducation et espoir
Denis Cheyssou a ensuite emmené nos deux futurologues sur le terrain de l’éducation et des jeunes.
Joël de Rosnay :
Il faut aller vers un enseignement systémique qui donne du sens avant d’aller dans le détail et creuser la physique, les mathématiques… Il faut mettre en œuvre des modes d’apprentissage par l’interactivité. Aux jeunes je dit : Aimer le futur et pour cela il faut :
– le comprendre ;
– le vouloir ;
– le construire ensemble.
Et Jacques Attali de conclure :
Oui le plus important c’est d’avoir un projet. Une vie consiste à trouver en quoi on est unique et on peut apporter aux autres. Mais cela suppose de connaître le passé, ses erreurs et d’enraciner ce projet dans la connaissance des destins humains.