Depuis 2007, le réseau RAPPEL (Réseau des Acteurs de la Pauvreté et de la Précarité Énergétique dans le Logement) rassemble et mobilise différents acteurs et professionnels des trois domaines concernés par la précarité énergétique : l’action sociale, le logement et l’énergie. Il cherche à proposer des solutions préventives et curatives durables à ce problème de plus en présent au cours des années. Il vient de publier un rapport constituant à la fois un état des lieux et un ensemble de propositions d’actions sur le sujet.
Qu’est-ce que la précarité énergétique ?
Le rapport s’attache tout d’abord à définir la précarité énergétique : la difficulté pour un foyer à payer ses factures en énergie et principalement en chauffage et à satisfaire ainsi un de ses besoins élémentaires. Trois causes se conjuguent habituellement : un logement mal isolé et fortement énergivore, des prix de l’énergie en constante augmentation et les faibles revenus du ménage, ne permettant aucun investissement permettant de diminuer la facture. Seule la Grande-Bretagne a tenté de chiffrer le seuil de la précarité énergétique en estimant que des dépenses énergétiques dépassant 10 % du budget total du ménage pouvaient être un bon indicateur. La France a repris ce chiffre, mais il mériterait certainement d’être affiné. Près de 3,5 millions de foyers dépassent actuellement ce seuil.
L’état des lieux
En quatre ans, le nombre des ménages aidés par les Fonds Solidarité Logements est passé de 333 450 en 2005 à 405 592 en 2008. Mais attention, ces chiffres ne représentent pas la réalité des ménages en difficulté, seulement ceux qui ont pu obtenir une aide et dans la limite des fonds disponibles : les services sociaux ont tendance à ne plus transmettre les dossiers lorsqu’ils savent le budget annuel épuisé. D’autre part, les conditions d’éligibilité à ces aides, variables d’un département à l’autre, ne permettent pas de prendre en compte l’ensemble des ménages souffrant de précarité énergétique.
Peu de moyens sont mobilisables pour aboutir à des travaux d’ampleur nécessaires à une meilleure efficacité énergétique des logements. Et on sait que les foyers modestes, qu’ils soient locataires ou propriétaires occupants, font partie des plus mal logés. RAPPEL est conscient que :
Il ne faut cependant jamais perdre de vue que, au-delà de ces premiers niveaux d’intervention nécessaires, la bataille contre la précarité énergétique ne se gagnera définitivement que par la réduction la plus forte et la plus rapide possible des besoins en énergie des logements des personnes les plus modestes. Dans un logement basse consommation à moins 50kWh/m2.an, plus aucun ménage n’est en situation de précarité énergétique.
Certes des moyens existent comme le prêt à taux zéro ou le crédit d’impôts, mais ils ne peuvent concerner les ménages les plus modestes. Les aides de l’ANAH (Agence Nationale de l’Habitat), accordées sous condition de ressource, ne financent que 35 à 50 % du montant des travaux, et encore ne peuvent-elles prendre en compte tous les travaux nécessaires à la mise aux normes thermiques du logement. Dans le programme « Habiter Mieux », que le gouvernement a chargé cet organisme de mettre en œuvre, les fonds d’aide à la rénovation thermique des logements privés (FART) ne concernent que les propriétaires occupants à faibles revenus et l’objectif est déjà lourd : améliorer 300 000 logements en 7 ans (2010 – 2017). D’autre part, cela s’avère une réponse insuffisante, vu l’ampleur du problème.
Repérer, diagnostiquer, orienter
Car avant d’aider, il faut repérer, diagnostiquer et orienter vers des solutions adaptées. Aucun métier actuellement ne couvre les trois champs. Cela fait appel en effet à trois types de compétences : des compétences énergétiques (calcul thermique, connaissance des consommations domestiques), des compétences sur le logement (cadre législatif général aux conditions de mise en œuvre financière et technique du chantier) et des compétences relationnelles et sociales (convaincre, accompagner). Il faut donc rapprocher les différents spécialistes pour leur permettre une approche commune et coordonner : cela passe par de la formation. Les travailleurs sociaux doivent être formés en priorité et l’ADEME a d’ailleurs élaboré un programme dans ce sens, mais il faut aussi s’appuyer sur les associations.
Le repérage pose déjà certains problèmes. En effet, il s’agit d’un public très hétérogène : locataires, propriétaires qui relèvent de dispositifs d’aides différents et variés. D’autre part de nombreux acteurs disposent d’informations partielles sur les situations de précarité : les services sociaux, les communes, les fournisseurs d’énergie, voire les caisses de retraite. Et un réel repérage nécessite une première visite à domicile pour une pré-évaluation de la situation énergétique, l’éligibilité et les modalités d’intervention.
L’accompagnement des familles se révèle aussi variable selon les problèmes à traiter : la mauvaise qualité thermique des logements, la vétusté ou la mauvaise qualité des équipements, la faiblesse des revenus, l’incompréhension des bonnes utilisations du logement et des équipements. Tout cela nécessite à la fois un travail d’explication, de dédramatisation et de conseil. Les dispositifs mis en place peuvent aussi relever des actions collectives (ce qui peut être adapté à des locataires d’un même immeuble, mais pas à une zone rurale) ou des accompagnements individuels selon le public et ses caractéristiques. D’autre part une médiation peut s’avérer nécessaire entre des locataires et des bailleurs qui n’ont parfois même pas conscience des problèmes thermiques des logements qu’ils louent.
Mobiliser les dispositifs, quand c’est possible
Mobiliser des dispositifs d’intervention adaptés s’avère aussi important et RAPPEL propose différentes pistes. Les fonds sociaux d’aide aux travaux de maîtrise de l’énergie sont des dispositifs relativement souples mis en place dans une vingtaine de territoires : ils s’appuient généralement sur des associations qui visitent, diagnostiquent et orientent les familles détectées par les services sociaux, puis présentent les dossiers en commission qui décide des suites à donner : elles peuvent aller d’une aide financière simple à l’achat de petits équipements et matériaux au montage d’un dossier complexe d’aides à la réalisation de gros travaux ; elles peuvent même comprendre la médiation avec le bailleur et les artisans, voire préconiser un relogement.
Le montage des dossiers pour mettre en œuvre les dispositifs d’amélioration de l’habitat proposés par l’ANAH pour le logement locatif et les propriétaires occupants est plus complexe : les subventions se font dans le cadre d’une opération programmée sur un territoire (OPAH) ou d’un programme d’intérêt général (PIG).
Ne pas négliger les « petites solutions »
Mais à côté de ces dispositifs, il ne faut pas négliger non plus les petites solutions qui concernent les usages : la production d’eau chaude, la cuisson ou l’électricité spécifique peuvent représenter une part importante dans les factures d’un ménage. Et outre la consommation d’eau chaude, les usages de l’eau froide sont eux aussi importants et couteux. Mais maîtriser sa consommation demande d’une part d’avoir les connaissances nécessaires pour en prendre conscience et d’autre part d’avoir à sa disposition un minimum d’équipements qui vont permettre cette maîtrise. Mais les foyers concernés par la précarité énergétique sont aussi ceux qui ont le moins de possibilité d’achat pour acquérir ces équipements.
Une façon de lutter contre la précarité énergétique est aussi de faciliter la mise en place de ces équipements en les fournissant aux ménages en difficulté, voire en les posant. Ampoules basse consommation, thermomètre, thermostat, joints de fenêtres ou de survitrage, interrupteurs de veille, dispositifs de réduction de débit (mousseurs, cf. ci-contre), mécanismes de chasse d’eau à deux volumes, minuteurs de douche : autant de petits dispositifs dont beaucoup ignorent l’intérêt, voire l’existence.
Distribuer simplement « à l’aveugle » un équipement peut s’avérer inutile ou décevoir pour plusieurs motifs. Par exemple fournir des lampes BC à vis à un foyer ne comportant que des douilles à baïonnette ne sert à rien. Ou bien encore les personnes n’ont pas obligatoirement les compétences techniques nécessaires pour les poser, et dans ce cas les laissent dans un coin et les oublient. RAPPEL propose donc de former des visiteurs qui pourraient se charger de les poser. Il est inutile de faire appel à des techniciens spécialisés : cela pourrait au contraire être confié à des publics en insertion qui pourraient s’en charger « avec un peu de formation et quelques précautions ». Ce qui pourrait d’ailleurs engendrer des bénéfices réel pour le parcours professionnel de ces intervenants.
RAPPEL termine le rapport sur cette conclusion :
Au regard des fortes augmentations des prix des énergies à venir, il est fondamental d’améliorer rapidement et massivement le profil qualitatif des logements existants. Au-delà de l’intervention contre la précarité énergétique installée et repérée dans les logements des plus précaires, c’est l’ensemble des politiques du logement qui doit prendre en compte et intégrer cette dimension (…).
Tous les citoyens, y compris les plus défavorisés d’entre eux devraient pouvoir, bénéficier des avancées techniques, humaines et environnementales amorcées par le Grenelle de l’environnement. Les investissements à réaliser pour répondre au défi énergétique sont certes importants, mais les dégâts sociaux du laisser faire actuel coûteront bien plus à l’ensemble de la société.
Source : RAPPEL, developpementdurable.com (image)