Canard PC, dans son numéro d’avril-mai 2016, propose une grande enquête technique, intitulée Qui a peur de Linky ? concernant le compteur électrique communicant d’ERDF, devenue depuis Enedis, qui sera à moyen terme installé dans tous les foyers français. Une enquête intéressante à plus d’un titre, puisque, si elle tord le cou à un certain nombre d’idées reçues, elle n’en met pas moins en lumière certaines zones d’ombre qui subsistent.
Ainsi, le journal commence d’abord par expliquer comment fonctionnent les nouveaux réseaux intelligents de distribution d’électricité (Smart Grid), avant de détailler précisément le projet, ses répercutions et son financement. Il propose ensuite une analyse technique détaillée des « entrailles » d’un compteur Linky, en passant à la loupe chacun de ses composants internes. Il passe ensuite en revue toutes les polémiques actuelles, en particulier celles liées à la santé et à la vie privée, afin de démêler le vrai du faux : « Que vous apportera Linky exactement ? Comment fonctionne-t-il ? Peut-il devenir un mouchard numérique ? Provoque-t-il la sclérose en plaques, la maladie d’Alzheimer ou le cancer ? Risque-t-il de griller le cerveau des bébés ou d’invoquer Belzébuth ? Ces questions vous concernent tous ! » Nous vous en proposant ici quelques morceaux choisis, en vous conseillant pour plus de détails de vous référer directement à l’enquête.
Ainsi, à propos des économies d’énergie, prétendument générées par Linky : « On réalise facilement les avantages et l’utilité que représente le déploiement des compteurs Linky pour ERDF et pour l’intérêt général à moyen ou à long terme. Malheureusement, les communicants n’ont pu s’empêcher d’en faire trop. En promettant des économies d’énergie significatives sous prétexte que les clients pourraient désormais « suivre leur consommation en temps réel », ils se sont tiré une balle dans le pied. Tout d’abord, les consommateurs réellement intéressés par le monitoring en temps réel n’ont pas attendu Linky : il existe de nombreux dispositifs aux alentours de 50 euros, faciles à installer sur l’arrivée électrique, qui font la même chose depuis des années. Si économie il y a, du fait d’une « prise de conscience écologique », elle ne sera que minime. » Ce qui entraîne la remarque suivante : « Il demeure toutefois un goût d’inachevé dans la conception de Linky. Si le compteur peut communiquer avec ERDF en utilisant le CPL, il reste incapable de transmettre – sans fil – ses informations directement au client. »
A propos des nombreuses polémiques que le compteur, dans sa phase de déploiement général, déclenche : « Sans l’ombre d’un doute, l’aspect le plus fascinant du compteur Linky réside dans la psychose qu’il génère auprès d’un nombre croissant de concitoyens et même d’élus ou de politiques. » Déjà sur la partie technique : « Leur raisonnement se base sur le fait qu’un conducteur parcouru par un courant électrique rayonne une petite partie de l’énergie qui y circule. Mais il y a mieux encore. Les marchands de peur parlent sans cesse du rayonnement « toxique » de Linky, en insistant sur le caractère « non blindé » du réseau d’ERDF. En oubliant un peu vite un précédent non négligeable. » Eh oui, puisque « Tout l’argumentaire irrationnel des anti-ondes au sujet de Linky peut en effet s’appliquer directement au réseau téléphonique et à l’ADSL. Pourtant, ni les électro-sensibles ni aucune association n’ont encore dénoncé le « danger pour la santé publique » que représenterait le rayonnement du signal ADSL dans les câbles téléphoniques non blindés qui circulent partout. »
Du coup, on en oublie un autre sujet sensible, la vie privée : « Les militants anti-ondes sont parvenus à focaliser l’attention du grand public sur les aspects « santé » en occultant presque totalement les problématiques liées à la vie privée. C’est particulièrement regrettable, car l’exploitation des données recueillies par Linky représente un eldorado pour de nombreuses sociétés commerciales. » Ainsi, à propos de la courbe de charge : « Techniquement, Linky permet la transmission des informations en permanence, mais la CNIL a décidé de limiter la durée minimale entre chaque mesure à 10 minutes. En pratique, la courbe de charge permet de connaître la plupart de vos habitudes, vos heures de lever/coucher par exemple, mais aussi d’en extrapoler bien d’autres : occupation des lieux, nombre de personnes dans le foyer, qualité de l’isolation thermique, etc. »
Il précise « Reste que votre courbe de charge intéresse tout de même beaucoup de monde : votre fournisseur d’énergie comme EDF, évidemment, qui pourra s’en servir pour proposer de nouvelles offres, mais également d’autres commerçants comme les vendeurs de fenêtres ou de pompes à chaleur. Philippe Monloubou, président du directoire d’ERDF, considère aussi que « les données issues de Linky pourront servir de levier d’innovation pour les start-up ». Un ancien responsable du projet Linky chez ERDF imagine même la modulation des primes d’assurance en fonction des équipements. »
Mais tout cela est encadré par des règles claires, oui, mais c’est toutefois « Une intrusion évidente dans la vie privée des usagers. Pour assurer le respect de celle-ci, l’ADEME et la CNIL ont fixé une règle : ces données sont considérées comme privées et appartiennent au client. Pour les transmettre à quiconque, ERDF devra obligatoirement recueillir son consentement et agira alors comme un « tiers de confiance ». A priori, tout semble clair… mais le diable se cache dans les détails. Tout d’abord, nul doute que le fameux « consentement » sera intégré dans le fin fond des petites lignes du contrat. »
Enfin, sur un possible piratage. Ainsi « Un cambrioleur pourrait ainsi « scanner » tout un quartier à la recherche de logements inoccupés, mais encore faut-il faire le lien entre le numéro de série du compteur et son propriétaire ; peu probable. » D’autres peut-être ? « »Reste enfin un autre type de piratage, bien plus probable et cette fois à grande échelle : celui du centre de traitement des données d’ERDF (ou de l’un des prestataires à qui il fournit les courbes de charges). À l’heure où tous les grands organismes ultra-sécurisés et jusqu’à la NSA subissent des intrusions, personne ne peut décemment affirmer que les serveurs d’ERDF ne souffriront jamais d’une faille de sécurité. Il convient toutefois de ne pas sombrer dans la paranoïa : Google, Facebook ou la moindre application sur smartphone peuvent déjà vous géolocaliser et tout connaître de vos habitudes. En définitive, peu de malfaiteurs s’intéressent à l’heure où vous faites griller vos toasts le matin… »
Source : Canard PC n° 28